Dauguet (Marie) 1860-1944
Marie Dauguet
Chansons
La chanson de la lune
Au lac de claire améthyste
Se mire la lune blonde
Et sa lumière m'inonde,
Fausse, à travers tes yeux tristes.
Mais trop d'incertaines dunes
Sous les pêchers qu'on émonde,
Pleines de fosses profondes,
Roses dans du clair de lune,
En la vague violette,
De la couleur qu'ont les prunes,
Des vergers où dort la lune
Vraiment trop d'effroi qui guette!
Eparse à travers cette onde
Que brise et meurtrit la rame,
Aux étangs bleus de mon âme
Se mire la lune ronde.
C'est ta tendresse ambiguë
Qui sourit au ras des vagues:
Fleurs des pêchers qu'on élague,
Rameaux des pourpres ciguës.
Je cueillerai ces fleurs tristes,
Hélas! sans créance aucune,
Au songe du clair de lune
Sur les étangs d'améthyste.
Par l'Amour, 1904.
(Lune printanière...)
Lune printanière et telle une déesse
Qui pose sur les joncs l'éclats de tes pieds blancs
Et sème la moelleuse et flottante caresse
De tes cheveux au ras des moires de l'étang.
Lune, tu fais chanter sous l'oseille sauvage
Que frôle ton orteil d'ivoire, les crapauds,
Et pleuvoir la rosée au bleuissant treillage
Des saules prosternés et des tièdes sureaux.
Zébrant de tes lueurs l'ombre chèvrefeuillée,
En ton mauve péplos tu t'assieds sous les troncs
Et parmi l'herbe humide et les sauges mouillées,
Tu penches ton visage et tu baignes ton front.
Lune, voici mon coeur, brin séché de fougère,
Perdu dans l'épaisseur des bois enténébrés,
Lune, voici mon coeur, sombre rameau de lierre
Au pan de ce mur noir durement enserré.
Eclaire-le, ce coeur, mendiant misérable
Et qu'à l'immense fête on n'a point convié,
Triste quand sont joyeux l'églantier et l'érable,
Mon coeur humain qui pense au lieu de verdoyer.
Que ton rayonnement l'apaise et le pénètre,
Ce coeur comblé de nuit, d'un dieu déshérité,
Lune, verse sur lui comme aux branches des hêtres,
Ton calme enchantement et ta sérénité.
Par l'Amour, 1904.