Lemierre (Antoine-Marin) 1733-1793
Le clair de lune
Mais de Diane au ciel l'astre vient de paraître.
Qu'il luit paisiblement sur ce séjour champêtre !
Eloigne tes pavots, Morphée, et laisse-moi
Contempler ce bel astre, aussi calme que toi,
Cette voûte mélancolique et pure,
Ce demi-jour si doux levé sur la nature,
Ces sphères qui, roulant dans l'espace des cieux,
Semblent y ralentir leur cours silencieux ;
Du disque de Phébé la lumière argentée,
En rayons tremblotants sous ces eaux répétée,
Ou qui jette en ces bois, à travers les rameaux,
Une clarté douteuse et des jours inégaux ;
Des différents objets la couleur affaiblie,
Tout repose la vue et l'âme recueillie,
Reine des nuits, l'amant devant toi vient rêver,
Le sage réfléchir, le savant observer.
Il tarde au voyageur, dans une nuit obscure,
Que ton pâle flambeau se lève et le rassure.
Le ciel où tu me luis est le sacré vallon,
Et je sens que Diane est la soeur d'Apollon.
Heureux qui, s'élevant au principe des choses,
Eclaircira le voile étendu sur les causes,
Dira comment cet astre, en son cours inégal,
A la voùte des cieux si paisible fanal,
Qu'on voit si près de nous, dans l'ombre planétaire,
Paraître s'approcher par amour de la terre,
Soulève l'océan, produit du haut des airs
Par accès régulier cette fièvre des mers,
Et comment l'océan qui submergeait la plage,
Décroissant par degrés, laisse à nu le rivage !
Hélas ! d'une ombre épaisse, aux yeux les plus perçants,
La nature a caché ses secrets agissants :
L'homme né pour l'erreur comme pour l'ignorance,,
N'est jamais, pour bien voir, à la juste distance ;
Trop près de lui, trop loin de la chaîne du tout,
Son orgueil cependant croit en tenir un bout ;
Et, quoique environné du faux jour des problèmes,
Il prend pour vérités d'ingénieux systèmes,
Où son esprit, séduit par ses rêves divers,
Refait par impuissance et l'homme et l'univers.
Les Fastes, VII.
Anthologie Delvaille (Bouquins) p. 829